Aire sur la Lys, d’hier à aujourd’hui

Une commune flamande puis artésienne (847 – 1499)

Aire est citée une première fois en 847 : elle n’était alors qu’une villa occupant un léger relief au nord de la ville actuelle. La ville se développe autour du castrum que Baudoin II, comte de Flandre, fait construire vers l’an 900 au confluent de la Lys et du Mardyck pour résister aux invasions normandes. Ce château, dont il ne reste rien, était situé à l’emplacement actuel des places des Béguines et de Saint-Pierre. L’agglomération se développe le long de la route d’Arras à Saint-Omer, qui fait un angle droit au lieu-dit « ad crucem Arie ».

En 1059, alors qu’un nouveau château est construit, le comte de Flandre Baudoin V institue un chapitre de chanoines au sein du castrum et ordonne la construction d’une église consacrée à saint Pierre. L’église est consacrée en 1166, après plus d’un siècle de travaux ; elle était située au même endroit que l’actuelle collégiale mais était plus petite. Aire devient donc à la fin du XIIème siècle un centre religieux important, avec pas moins de 37 chanoines.

Vers l’an 1200, un nouveau château est construit par Baudouin IX. La ville est entourée d’une muraille en pierres blanches, dont le tracé ne changera pas jusqu’en 1893.

Au début du XIIème siècle, la ville devenue importante, 1 000 à 2 000 habitants peut-être, peut obtenir une charte de libertés communales, reconnue en 1188 par le comte de Flandre Philippe d’Alsace sous le nom de « charte de l’Amitié », mais qui existait déjà sous Clémence de Bourgogne (régente de 1096 à 1100). Le bourg ne cessera d’obtenir de nouvelles libertés au cours des siècles suivants. La commune est dirigée par un échevin ; un châtelain puis un bailli représentent le comte de Flandres. Le nouveau statut de la ville est symbolisé par ses armes, « un loup d’or sur fond de gueule », celui-ci sera plus tard remplacé par les armes actuelles et par la construction d’un beffroi, signalé à la fin du XIIème siècle.

Aire, ville flamande dont l’importance est comparable à celle d’Ypres ou de Courtrai, se soulève en 1213 contre le comte Ferrand de Portugal. Ce dernier assiège la ville, qui ne peut survivre que grâce à un convoi de grains providentiellement envoyé par le roi de France. Le culte que rend la ville à Notre-Dame Panetière serait lié à cet événement.

En 1237, le comté d’Artois est séparé du comté de Flandre et Aire fait partie de la nouvelle entité. Elle devient dès lors une ville frontière marquée par les conflits entre les comtes de Flandre et leur suzerain le roi de France. Néanmoins, si l’Artois est dévasté par la guerre de Cent Ans, les murs d’Aire découragent les Anglais de vouloir prendre la ville. Aire devient ainsi un refuge pour les populations rurales des environs. La commune refuse de reconnaître le roi Édouard III d’Angleterre en 1338.

En 1374, Marguerite, comtesse d’Artois, donne à la ville de nouvelles chartes. Sa petite-fille Marguerite ayant épousé en secondes noces le duc Philippe II de Bourgogne, l’Artois est rattaché en 1384 au très étendu duché de Bourgogne. C’est à Aire que le futur duc Philippe le Bon fait célébrer en 1415 les funérailles de ses deux oncles tués à Azincourt.

Si le XIVème siècle avait été une période troublée (les incendies étaient fréquents) et la peste noire tua 4 000 personnes en 1349, le XVème siècle est une période de paix et de prospérité pour Aire et plus largement la Flandre. Aire est alors une ville dynamique tant par son activité économique que par ses fêtes. L’importance religieuse de la ville attirait souvent en ses murs l’évêque de Thérouanne. Aire, outre son chapitre de chanoines, comptait en effet trois paroisses, trois couvents, une école latine et l’hôpital Saint-Jean-Baptiste.

Si Louis XI s’est emparé de la Bourgogne après la défaite de Charles le Téméraire en 1477, il ne tente pas dans un premier temps de s’emparer d’Aire. C’est après avoir acheté le sire de Cohem, qui gouvernait la place au nom de Marie de Bourgogne, que le maréchal d’Esquerdes prend Aire en 1482. Cette occupation ne dura que 17 ans : le roi Charles VIII rendit l’Artois à Maximilien de Habsbourg, veuf de Marie de Bourgogne, pour avoir les mains libres dans sa volonté de conquérir le royaume de Naples.

Une place forte disputée (1499 – 1713)

En 1499, Aire est intégrée aux Pays-Bas bourguignons. Ces derniers font partie des nombreuses terres dont Charles Quint hérite et qui le placent à la tête du plus grand ensemble territorial d’Europe. La transition se fait sans difficulté : le gouvernement français n’a pas bonne presse à Aire, et l’empereur confirme dès 1516 les privilèges de la ville. Il est ainsi reçu avec joie à Aire en 1540.

La guerre, ininterrompue de 1521 à 1558, nécessite de renforcer les défenses de la ville. Aire est en effet une pièce maîtresse du système défensif imaginé par l’empereur contre la France. De plus, Aire se trouve à quelques kilomètres seulement de la place forte française de Therouanne. Un système de bastions polygonaux est substitué au système ancien de fortifications, et l’empereur ordonne en 1520 la démolition de la chapelle Notre-Dame, remplacée par une nouvelle église paroissiale.

En 1492, le chantier de construction d’une nouvelle église est lancé par les chanoines de Saint Pierre. Il durera près d’un siècle, le chapitre en assurant lui-même le financement. La collégiale que nous voyons aujourd’hui était à l’époque l’une des plus grandes églises de style flamboyant des Pays-Bas méridionaux. La Réforme ne trouve pas beaucoup d’écho à Aire; au contraire, la ville adhère en 1579 à l’union d’Atrecht (Arras en néerlandais) qui demande l’interdiction du culte protestant.

Les premières années du XVIIème siècle correspondent à une période de paix et de grands travaux. Un corps de garde est construit en 1600 grâce à la levée d’un impôt sur la bière et le vin; l’Hôtel de Ville est reconstruit à partir de 1625. Un collège jésuite est ouvert en 1615 rue de Saint-Pierre, avant de déménager huit ans plus tard dans des locaux plus spacieux rue de Saint-Omer; ce n’est qu’en 1682 que l’évêque d’Ypres posera la première pierre de l’église de ce collège. Quant au mur d’enceinte, il est entièrement reconstruit entre 1570 et 1620.

En 1635, au cours de la guerre de Trente Ans, la France entre en guerre contre l’Espagne aux côtés des Provinces-Unies. 25 000 hommes commandés par le Maréchal de la Meilleraye assiègent Aire à partir du 19 mai 1641. Si les pertes sont considérables du côté français, les 2 000 hommes de la garnison d’Aire doivent néanmoins se rendre le 26 juillet. La victoire n’est cependant que de courte durée. La population de la ville est farouchement hostile aux Français, et le cardinal-Infant assiège bientôt la ville dont les murailles ont été détruites par l’armée française. Le colonel d’Aigueberre, qui a succédé à Meilleraye, capitule le 7 décembre. Après sept mois de combats, la ville est en ruines et a été désertée par ses habitants. Les Français restent néanmoins menaçants : le fort Saint-François est donc construit en 1642.

Aire redevient ensuite une ville prospère grâce aux campagnes agricoles qui l’entourent, à ses nombreuses petites industries, à sa vitalité religieuse (quatre nouveaux couvents sont créés) et surtout à son port. En l’absence de communication fluviale entre l’Aa et la Lys, les marchandises remontant l’Aa depuis le port maritime de Gravelines doivent en effet être transportées par voie routière de Saint-Omer à Aire, avant de descendre la Lys vers la Flandre.

La guerre reprend en 1667. Le maréchal d’Humières, accompagné de 15 000 hommes, de Vauban et de Louvois, assiège Aire en juillet 1676. Pour ne pas répéter les erreurs du passé, l’armée de Schomberg est placée de manière à barrer le passage au général espagnol Villahermosa. Louvois fait bombarder de nuit et cible les maisons bourgeoises : la ville ainsi terrorisée se rend le 31 juillet. Le 29 août 1676, le général François de Calvo est fait gouverneur de la ville et reste en place sa vie durant, jusqu’en 1690. Vauban entreprend ensuite de réorganiser la défense de la ville, en créant de nouvelles casernes et en renforçant les fortifications.

En 1701, la guerre frappe à nouveau aux portes d’Aire. Les Hauts-Alliés assiègent la ville en septembre 1710 et celle-ci, défendue par le régiment de Bauffremont-dragons, est remise en novembre aux Hollandais. Elle reste hollandaise jusqu’au traité d’Utrecht le 14 avril 1713 : le 1er juin, à la même heure, la France rend Furnes et les Provinces-Unies. La ville est désormais définitivement rattachée à la France.

Un long déclin (1713 – 1914)

Les nombreux sièges qu’a connu Aire depuis un siècle ont laissé une ville en ruines : c’est maintenant l’heure de la reconstruction. En 1715, Louis XIV autorise la construction d’un nouvel Hôtel de Ville. Le bâtiment actuel est achevé en 1721 et le Beffroi en 1724. Grâce à l’intervention du cardinal de Fleury, ministre de Louis XV, l’église du chapitre de Saint-Pierre est reconstruite en plusieurs étapes jusqu’en 1788. La ville accueille désormais une importante garnison dans ses nombreuses casernes. Le 17 novembre 1722, une ordonnance royale fixe pour plusieurs décennies les règles de l’urbanisme à Aire : la ville se transforme rapidement. Aire est donc aujourd’hui en grande partie une ville du début du XVIIIème siècle. Néanmoins, la ville reste corsetée dans ses murs trop étroits.

L’administration est beaucoup plus stricte et centralisée que sous les Espagnols. Le bailli n’a plus que des pouvoirs très limités et le mayeur est nommé par le Roi. En 1762, le Parlement de Paris décide d’expulser les Jésuites du Royaume de France : le collège est ainsi fermé en 1769. Ce n’est qu’après une longue campagne de protestations à Versailles et Arras que le magistrat obtient le rétablissement d’un collège confié aux Pères de la doctrine chrétienne.

Si des travaux sont menés pour remettre en état les fortifications, leur état reste déplorable. À la fin du XVIIIème siècle, le château est en ruines faute d’entretien. Surtout, le pouvoir royal impose la construction d’un canal de jonction entre la Lys et l’Aa. Le port d’Aire, court-circuité par ce canal, est déserté dès l’ouverture de celui-ci en 1771. De plus, une route est ouverte entre Lillers et Saint-Venant, évitant elle aussi Aire. La situation économique à Aire à la fin du XVIIIème siècle est donc des plus moroses.

Les débuts de la Révolution sont enthousiastes à Aire. Néanmoins, les désillusions arrivent vite, notamment dans le domaine religieux : la population accepte mal les nouveaux pasteurs et la suppression du chapitre et des couvents. La ville, qui espérait être choisie comme chef-lieu du nouveau département du Pas-de-Calais, n’obtient finalement qu’un chef-lieu de canton. Aire, de plus, est particulièrement touchée par les guerres et par les famines. La ville, qui n’avait pas constitué de comité de surveillance, s’en voit imposer un : celui-ci accuse en juin 1794 la ville entière d’être « égarée ». Une centaine d’Airois sont fait prisonniers et 21 sont exécutés à Arras. Après les dures années de la Révolution, le Consulat et l’Empire correspondent à une période d’accalmie : l’église Saint-Pierre est rouverte en 1802, et deux établissements scolaires sont créés (un collège municipal et une école de filles dirigée par les Ursulines). La ville, qui n’aurait pu soutenir un nouveau siège, n’est occupée ni en 1814, ni en 1815.

Le déclin de la ville au XVIIIème siècle se poursuit au XIXème siècle. André-Camille Dard ne poursuit pas sa notice historique sur Aire au-delà de 1815, car « depuis cette époque Aire, simple chef-lieu de canton, n’a plus d’histoire et vit oubliée. » La ville passe en effet à côté de l’essor démographique et économique du Nord-Pas-de-Calais. L’armée refuse l’implantation des Aciéries de France sur un terrain jugé trop proche des fortifications ; les aciéries s’installent donc à Isbergues. La ligne de chemin de fer d’Arras à Dunkerque passe à 5 km à l’est de la ville ; ce n’est qu’en 1878 qu’Aire obtient une gare sur la modeste ligne de Berguette à Saint-Omer. Quant aux sociétés de recherche et de prospection de charbon, elles font toutes faillite faute d’avoir trouvé un filon exploitable. La ville ne peut donc vivre que de ses marchés agricoles et de sa petite industrie (usine à gaz, brasserie, chapeaux Blondel, chaussures fabriquées à domicile pour le compte des Établissements Fanien de Lillers.

Néanmoins, si la ville connaît un certain déclin économique, elle conserve une forte vitalité intellectuelle et artistique. La ville accueille de nombreuses sociétés musicales, des sociétés sportives, ainsi qu’une école de musique et une école de dessin. En 1837 paraît le premier numéro de l’Écho de la Lys, qui est encore en 2017 le principal organe de presse de la ville. De nouveaux établissements scolaires ouvrent leurs portes : une école primaire des Frères des Écoles Chrétiennes est créée en 1816 et une école municipale laïque en 1870. Quant à l’église Saint-Pierre, elle est entièrement rénovée par Mgr Édouard Scott, qui fut curé de 1829 à 1887 ; elle devient le premier monument de la ville classé monument historique en 1862.

En 1871, le démantèlement des places fortes de la frontière nord est décidé par l’armée, qui les juge inutiles. La ville doit en assurer le financement et recevoir en compensation les terrains ainsi libérés. Les travaux durent trois ans, de 1893 à 1896. Les 120 hectares ainsi libérés permettront l’établissement d’un boulevard circulaire autour de la ville, et l’ancienne zone non aedificandi accueillera les grandes maisons bourgeoises des notables de la ville.

Aire-sur-la-Lys au XXème siècle

La Grande Guerre frappa durement Aire. Située à quelques kilomètres du front, la ville hébergea en permanence 3 000 à 4 000 réfugiés pendant trois ans. Le quartier général de la première armée britannique s’installa le 1er avril 1915 à Aire, au château de La Jumelle. Pendant la guerre, Aire reçut la visite du roi George V du Royaume-Uni, du général Joffre et de l’ancien président du Conseil Georges Clemenceau. Le 11 avril 1918, une offensive allemande rompt le front et menace Aire qui doit être évacué. Lorsque l’offensive est enrayée en août, la ville, qui a été bombardée jour et nuit pendant quatre mois, est en ruines : trois quarts des maisons ont été touchées. La ville, dont 250 habitants ont été tués au front, reçoit le 12 juin 1921 la Croix de guerre.

Après la Première Guerre mondiale, Aire doit donc à nouveau être reconstruite. C’est l’occasion de mener des travaux de grande envergure, comme le programme d’adduction d’eau achevé en 1927. L’été 1936 sera, comme partout en France, un été de grève générale et de défilés, comme celui organisé le 5 juillet par le Front populaire. La ville, qui ne veut pas d’une nouvelle guerre, célèbre par un défilé des associations sportives et culturelles le vingtième anniversaire de l’Armistice de 1918.

Le 23 mai 1940, une colonne de chars français arrive à Aire, ignorant que des éléments motorisés de la division Totenkopf s’y trouvent depuis la veille. Les Français, pris au piège, sont presque tous tués après trois heures de lutte. Un avion britannique détruit dans la nuit du 29 au 30 mai les camions allemands chargés d’essence et de munitions qui étaient stationnés dans la cour du collège, qui prend feu. À partir de l’armistice du 22 juin, Aire fait partie du commandement allemand de Bruxelles; la Kommandantur s’installe dans l’immeuble actuel du Crédit agricole et la Gestapo à la Céramique. La ville connaît pendant l’occupation des actes de résistance à l’armée allemande : l’organisation « Lord Denys » prend en charge les soldats britanniques pour les aider à gagner la zone libre (ses membres recevront à la Libération la Croix d’honneur du mérite franco-britannique) et « l’organisation franco-anglaise du capitaine Michel » procède à des opérations de sabotage, tandis que le réseau « Hunter » renseigne les armées alliées (son chef André Robin sera fusillé à Paris le 27 juillet 1944). Les bombardements s’intensifient à partir de juin 1944 : l’aviation alliée lâche 2 800 bombes sur la ville dans la nuit du 8 août, faisant 19 victimes civiles et touchant gravement la collégiale Saint-Pierre. L’armée polonaise entre finalement dans la ville et la libère le 5 septembre 1944. Une nouvelle fois, il s’agit de reconstruire. La paroisse Saint-Pierre, qui s’était réfugiée à l’église Saint-Jacques, ne peut retrouver son église qu’en 1954; la réhabilitation complète de la collégiale n’est toujours pas achevée à ce jour.

Depuis la Libération, la ville se modernise : si l’abattoir municipal a fermé ses portes en 1968, un immense silo à grains a ouvert en 1965 et une zone industrielle a été créée en 1972 sous l’impulsion du maire François-Xavier Becuwe. La ville s’est étendue à partir de 1959 sur l’ancien marais de Lenglet, au lieu-dit « Mississippi », qui forme aujourd’hui un des cœurs de la cité. Si la gare ferroviaire a fermé en 1990, l’ouverture en 1989 de l’hypermarché Catteau (aujourd’hui Carrefour), le plus gros employeur de la ville, est le signe d’une réorientation de la ville vers le secteur du commerce et des services.